Gilles Clément, le jardinier en mouvement
Et si le temps de la construction devenait aussi celui de l’observation et de la protection de la nature ? C’est l’une des missions que s’est donnée Gilles Clément, jardinier-paysagiste, qui, au travers de ses nombreuses réalisations de jardins publics, nous alerte sur la disparition de la biodiversité. Il redonne ses lettres de noblesses aux friches et aux espaces libres, aux jardins en mouvement dans lesquels, avec le temps, la nature reprend ses droits sur l’homme et la ville.
Il faut regarder les friches comme des trésors et non comme des terrains de la perte du pouvoir. Nous dépendons de l’écosystème en général. A nous de protéger ce jardin planétaire.
Est-ce que les jardins en mouvement, créés il y a plus de 20 ans, vous semblent aujourd’hui encore plus nécessaires à la ville ?
Les jardins en mouvement ont été proposés au public en 1992, au Parc André Citroën, à Paris. En résumé, cela consiste à « Faire le plus possible avec le moins possible contre ». Cela résultait d’une expérimentation sur mon propre jardin que j’ai pu raconter dans le livre « Le Jardin en mouvement ». Au début, tout le monde n’acceptait pas ce type de projet ; pendant 2 ans, j’ai travaillé avec les jardiniers pour qu’ils comprennent comment cela se passait.
Indépendamment de mes travaux, au bout d’une vingtaine d’années, des villes pionnières comme Rennes, Grenoble ou Nantes ont pris conscience de la disparition de la biodiversité. Même si elles ne se revendiquent pas forcément du jardin en mouvement, la gestion différenciée et écologique de ces villes comme l’abandon de l’usage des herbicides et pesticides s’en rapproche.
Le Tiers-paysage, ce troisième paysage, celui qui n’est pas celui de l’ombre des forêts ni celui de la lumière des prairies…
Comment appréhender ce que vous appelez le Tiers-paysage ?
Le Tiers-paysage résulte d’une étude que j’ai effectuée en 2004 sur le lac de la Vassivière dans le Limousin. Je cherchais de la diversité, que je ne trouvais ni dans la forêt, ni dans les pâtures. Finalement, elle se trouvait dans des endroits en pente où les machines ne pouvaient pas passer. Le Tiers-paysage est un espace très souvent délaissé, un territoire d’accueil où viennent des espèces qui sont chassées de partout ailleurs. Ce troisième paysage, celui qui n’est pas celui de l’ombre des forêts ni celui de la lumière des prairies, est pour moi celui de la diversité. J’ai voulu l’appeler Tiers en référence au Tiers Etat et à Sieyès qui pendant la Révolution a écrit : « Qu’est-ce que le Tiers Etat ? C’est tout, c’est tout le monde, c’est la diversité humaine. Et qu’aspire-t-il à devenir ? Quelque chose ! »
Il faut regarder les friches comme des trésors et non comme des terrains de la perte du pouvoir. Nous dépendons de l’écosystème en général. A nous de protéger ce jardin planétaire.
Face à une urbanisation effrénée, une politique de la ville peut-elle se permettre de laisser des terrains en friche ?
Il faut arrêter avec ce discours hygiéniste du passé, où l’on continue à dire qu’il faut tout nettoyer avec l’idée que cela rendrait l’espace « propre ». Si on explique aux gens que, même si ça n’a pas l’air d’un jardin mais d’un espace sauvage, et que la diversité nous maintient en équilibre, alors beaucoup comprennent ! Les élus subissent énormément de pression face à la loi du marché de l’immobilier, mais certains maires résistent. Je prends pour exemple la ville de Mouans-Sartoux située entre Cannes et Grasse qui est parvenue à faire quelque chose de remarquable comme de cultiver bio pour alimenter la cantine scolaire.
Je crois que nous sommes dirigés par des retardateurs qui continuent à vouloir se ranger à des décisions politiques complètement dépassées qui ne changent absolument pas notre façon de vivre et l’accélèrent bien au contraire. Il faut partir des initiatives qui se font sur le terrain aujourd’hui et qui sont à valoriser car elles annoncent les possibilités futures. Dans les activités que je mène avec les collectifs locaux (pour une transition citoyenne, NDRL) nous choisissons avec les habitants, les étudiants… des morceaux de terrain généralement en friche comme l’ancienne déchetterie à Lecce en Italie. Nos actions sont un peu militantes, mais finalement les politiques finissent par reconnaître le bienfait et nous prête du matériel !
Les architectes ont besoin des paysagistes lorsque les commanditaires manifestent l’intention de faire valoir l’espace végétalisé, ce qui n’est pas toujours le cas.
Quel est le lien des jardiniers-paysagistes avec les architectes et les urbanistes. Travaillent-ils de concert dans les politiques urbaines ?
Les architectes ont besoin des paysagistes lorsque les commanditaires manifestent l’intention de faire valoir l’espace végétalisé, ce qui n’est pas toujours le cas.
Ils leur arrivent de s’engager sur le projet paysager sans toujours faire appel à des paysagistes surtout si un privilège est donné à la composition de l’espace et non au Vivant. Les urbanistes ont plus à voir avec le paysage et comprennent mieux les propositions des paysagistes. Certains paysagistes ont des démarches d’urbanistes et travaillent à la même échelle. Quelques-uns ont même reçu des grands prix d’urbanisme.
Quels sont vos prochains projets ?
Je suis en train de créer pour la manifestation Lausanne Jardins 2019, un jardin avec un grand cadran solaire et trois rochers qui donnent le temps d’activités de la taupe. Il se trouve que les taupes font leur monticule plutôt vers sept heures du matin, à midi et à 17 heures. J’ai voulu rendre hommage à cet animal qui participe grandement au maintien de la biodiversité. De la taupinière, germent des graines qui ont besoin de sol remué comme les Annuels et ce qu’on appelait autrefois les Messicoles, les plantes de moisson qui ont quasiment disparu.
Quel est le rôle du jardinier dans la ville et face au changement climatique ?
Il est vraiment très important. Les vrais jardiniers sont ceux qui connaissent les plantes, qui finissent par s’attacher au terrain, ils sont co-signateurs du jardin dans le temps.
Le jardinier interprète tout ce qui change, et dans une évolution de changement climatique, il va chercher des espèces qui vont être un peu plus tolérantes à une sécheresse, éviter l’irrigation en favorisant la permaculture. Dans les jardins que je propose, il n’y a pas de geste répétitif, tout change tout le temps, il faut interpréter, et c’est là où est la créativité.
Le LiFE, Lieu international des Formes Émergentes
Le Jardin du Tiers-Paysage de Saint-Nazaire est à visiter sur le toit d’une ancienne base de sous-marins allemands. Gilles Clément célèbre la base comme un lieu de reconquête et de résistance et la régénère en lieu d’hospitalité pour les plantes migrantes de l’estuaire. Gilles Clément n’aime pas l’éphémère. Et cela tombe bien puisque depuis 1998, le jardin est en sans cesse en évolution et fait partie d’une balade artistique, pérenne, à découvrir de Nantes jusqu’à Saint-Nazaire.